En quoi la pratique de récupération et l’entrelacement sont-ils complémentaires ?
Évidences #41
Bonjour à toutes et à tous 👋
Lors de ma première formation de formateurs en 2005, une phrase de la formatrice a changé ma vision de l'apprentissage : “Le but d'une formation n'est pas toujours de faire plaisir aux apprenants.”
Cette phrase m'a fait réfléchir à l'importance et à la place de la difficulté en situation d'apprentissage. On a parfois l'impression que le but d'une formation est de nous faciliter la tâche, de nous donner des réponses toutes faites. Mais est-ce vraiment comme ça qu'on apprend le mieux ?
Quand on apprend une langue, on peut lire des manuels de grammaire et mémoriser des listes de vocabulaire, mais rien ne remplace l'immersion dans un pays étranger, où l'on est obligé de se débrouiller au quotidien : c'est en faisant des erreurs et en cherchant ses mots qu'on finit par vraiment maîtriser la langue.
De la même manière, quand on apprend à jouer d'un instrument, on peut lire des partitions et regarder des vidéos de démonstration. Mais rien ne remplace le fait de pratiquer régulièrement, de se confronter aux difficultés et de chercher à progresser par soi-même. Il en va de même pour développer n’importe quelle compétence en profondeur.
De manière paradoxale, beaucoup d'étudiantes et d’étudiants pensent apprendre simplement en relisant et en surlignant leurs notes et supports de cours, évitant ainsi un certain niveau de “difficulté désirable” qui leur serait pourtant bénéfique en vue de consolider leurs apprentissages sur le long terme.
Et c’est sur cette transition que je vous laisse découvrir l’article de cette semaine, dont je vous souhaite une excellente lecture 😊
À bientôt,
David
Comment favoriser un apprentissage durable et en profondeur ? Ces questions préoccupent tant les personnes apprenantes que les acteurs et actrices de l'éducation et de la formation. L'enjeu est de taille : dépasser la simple mémorisation, développer une compréhension en profondeur et garantir la rétention des connaissances sur le long terme.
Face à cette problématique, une recherche récente a examiné l'efficacité de deux stratégies d'apprentissage : la pratique de récupération (retrieval practice) et l'entrelacement (interleaving). Menée en contexte scolaire, cette étude démontre que le simple fait d'adapter les modalités d'évaluation semble améliorer la compréhension et la rétention à long terme.
Durant quatre semaines consécutives, 155 élèves du secondaire supérieur suivant un cours de sciences ont réalisé un test hebdomadaire de 10 à 12 minutes portant sur la moitié des concepts étudiés pendant la semaine. La présentation des questions suivait deux modalités distinctes : une modalité "regroupée" (questions relatives à un même concept présentées de manière séquentielle) et une modalité "entrelacée" (alternance de questions couvrant différents concepts). Un groupe contrôle a également été intégré à l'étude.
Le mois suivant le dernier test hebdomadaire, tous les sujets ont passé un test final évaluant l'ensemble des concepts abordés. Que mettent en évidence les résultats ?
La pratique de récupération confirme son efficacité. Par rapport aux sujets non testés, ceux ayant bénéficié des tests hebdomadaires ont obtenu des performances supérieures. Ce résultat souligne l'importance des évaluations actives pour consolider les connaissances.
Mieux vaut entrelacer que regrouper. Les sujets soumis aux tests entrelacés ont significativement mieux réussi le test final que ceux ayant passé des tests regroupés.
Une dose de "difficulté désirable" semble nécessaire. Bien que perçus comme plus exigeants par les sujets, les tests entrelacés ont généré, au final, de meilleures performances.
Les bénéfices de la pratique de récupération sont désormais bien établis. Ils reposent sur le renforcement des connexions neuronales, l'organisation optimisée des connaissances et l'amélioration de leur accessibilité future. Comment ? Grâce à l'effort cognitif nécessaire pour rappeler l'information en mémoire.
L'entrelacement, quant à lui, ajoute une autre forme de complexité cognitive : en mélangeant des concepts distincts, il incite la personne apprenante à identifier et à discriminer les caractéristiques essentielles de chaque concept. Ceci permettrait d’affiner la compréhension et de mieux distinguer les concepts similaires. À l'inverse, le regroupement thématique limite les opportunités de percevoir ces distinctions.
La perception initiale de difficulté accrue lors des tests entrelacés constitue un indicateur intéressant, reflétant un travail cognitif plus intense : le fait de s'engager davantage dans les processus de différenciation et de consolidation conceptuelle se traduit par une meilleure rétention et semble donc bénéfique pour l'apprentissage à long terme.
Quelles pistes d'action ces résultats offrent-ils pour enrichir nos pratiques pédagogiques et d'apprentissage ?
Intégrer des tests de récupération fréquents et concis. Ces tests peuvent intervenir en début de séance (activation des connaissances antérieures), en cours de session (vérification de la compréhension) ou en fin de séance (consolidation des acquis).
Adopter l'entrelacement dans la conception des évaluations. Mélangez délibérément les concepts au sein des tests, exercices et devoirs, plutôt que de les regrouper en fonction du sujet. Par exemple, intégrer aléatoirement des questions portant sur des principes distincts s'avèrera plus efficace que de les structurer en sections thématiques séparées.
Valoriser les "difficultés désirables". Le sentiment de défi inhérent à l'entrelacement peut décourager les personnes apprenantes. En leur expliquant que cette difficulté initiale est en réalité bénéfique pour leur apprentissage pourrait permettre de réduire leur frustration et de maintenir leur engagement.
Réorganiser les évaluations existantes. Vos évaluation actuelles (banques de questions, recueils d'exercices) peuvent être optimisés en adaptant simplement la séquence de présentation. Fragmentez-les en tests plus fréquents et plus courts, en privilégiant l'entrelacement plutôt que le regroupement thématique.
Encourager l'auto-évaluation entrelacée. Les personnes apprenantes gagneront à appliquer cette stratégie dans leur démarche d'apprentissage en autonomie. Plutôt que d'adopter une approche séquentielle (par chapitre), elles bénéficieront davantage de mélanger de concepts issus de différents chapitres ou appris à des moments distincts.
Au-delà de la pratique de récupération, on peut considérer l'entrelacement comme une stratégie capable de générer des résultats d'apprentissage non négligeables. Comment se distingue-t-elle ? Par son efficience, son faible coût d'investissement en temps et sa simplicité de mise en œuvre. Son implémentation pourrait ainsi constituer un levier d'action particulièrement efficace pour optimiser la qualité des apprentissages, quel que soit le niveau ou le domaine d'étude du public concerné.
Référence bibliographique :
Sana, F., & Yan, V.X. (2022). Interleaving retrieval practice promotes science learning. Psychological Science, 33(5), 782‑788. DOI: 10.1177/09567976211057507
Il n'y a pas de mystère dans la vie humaine. Ce n'est pas un problème qu'il faut résoudre, mais une réalité dont il faut faire l'expérience.
– Frank Herbert, extrait du roman “Les Enfants de Dune”
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