Les rétroactions des agents pédagogiques virtuels peuvent-elles surpasser celles des êtres humains ?
Évidences #35
Bonjour à tous et à toutes,
J’exprime très rarement mes opinions politiques sur le web. Aujourd’hui, j’ai décidé de faire une exception. Pourquoi ? Parce que, si vous en doutiez encore, l'urgence de la situation l'exige.
En effet, la science occupe une place sans précédent dans nos choix collectifs : face aux changements climatiques, aux enjeux de santé publique et aux bouleversements technologiques, notre société traverse une période décisive de son histoire.
Pourtant, au moment même où nous avons le plus besoin d'expertise scientifique pour éclairer nos décisions, la voix de milliers de chercheurs et des chercheuses se trouve actuellement réprimée face aux simplifications excessives, à la désinformation, aux discours populistes et aux propos extrémistes.
C'est ici que le mouvement Stand Up for Science prend tout son sens, en nous rappelant l'importance fondamentale d'ancrer la science au cœur du débat public, non seulement comme source de connaissances fiables, mais aussi comme méthode rigoureuse pour appréhender la complexité de notre monde.
Défendre la science va au-delà de promouvoir la rigueur et l'esprit critique : c'est s'assurer que nos décisions – tant individuelles que collectives – restent guidées par les faits plutôt que par les polarisations et les simplismes.
En tant qu'acteurs et actrices de l'éducation et de la formation – tous secteurs d'activité confondus –, nous avons aussi notre rôle à jouer et nos responsabilités à prendre pour soutenir la science. Comment ? En enrichissant notamment nos pratiques professionnelles des dernières avancées de la recherche, pour offrir à chacune et chacun les meilleures chances de développement et d'épanouissement.
Certes, la science n'est pas parfaite et n'a pas réponse à tout. Ce serait d'ailleurs fort regrettable ! Pourtant, de mon point de vue en tout cas, c'est le meilleur outil que l'humanité ait développé pour progresser. À nous de la faire avancer dans la bonne direction en vue de bâtir une société plus juste et résiliente, capable de relever les défis d'un monde en mutation, pour nous-mêmes et les générations futures.
David.
Les environnements d'apprentissage numérique connaissent aujourd'hui un développement sans précédent, transformant en profondeur nos pratiques d'enseignement et de formation.
Parmi les progrès réalisés, on compte notamment les agents pédagogiques virtuels, capables de fournir des rétroactions cognitives et affectives aux personnes apprenantes. Toutefois leur utilisation soulève deux questions fondamentales pour les acteurs et actrices de l'éducation et de la formation :
Peuvent-ils égaler – voire surpasser – l'efficacité pédagogique d'un humain (enseignant·e ou formateur·rice) ?
Dans quelle mesure peuvent-ils délivrer des rétroactions affectives crédibles et pertinentes ?
En effet, l'apprentissage dépasse la simple acquisition de connaissances : les émotions y jouent un rôle crucial, influençant directement la motivation, la régulation des apprentissages et les performances académiques. Dans les environnements numériques, où l'interaction humaine directe est souvent restreinte, cette dimension émotionnelle prend une importance particulière.
Comment alors intégrer efficacement cette dimension émotionnelle lorsque le soutien pédagogique provient d'une technologie plutôt que d'un être humain ? Une recherche récente a étudié cette problématique.
Cette étude a mis en parallèle l'efficacité des rétroactions cognitives et affectives fournies par un agent pédagogique virtuel et celles proposées par une personne humaine. Menée auprès d’un échantillon de 115 étudiantes et étudiants répartis en deux groupes, l’étude portait sur une activité collaborative de création de site web. Cette approche visait à évaluer l'efficacité des rétroactions dans des conditions réelles d'apprentissage.
Les résultats indiquent que l'agent virtuel a démontré son efficacité surtout en matière de rétroaction cognitive. Les sujets ont jugé l'agent virtuel performant pour clarifier les objectifs pédagogiques, organiser le contenu du cours, donner des informations complémentaires précises et enrichir leurs connaissances par des conseils pratiques immédiatement applicables.
En ce qui concerne la rétroaction affective, les résultats sont plus nuancés. Bien qu'appréciés dans l'ensemble, seuls certains types de rétroactions affectives ont démontré une supériorité significative lorsqu'ils étaient délivrés par l'agent virtuel – particulièrement celles visant à améliorer la communication au sein des groupes, résoudre les difficultés, soutenir les activités et maintenir l'intérêt.
Cette étude nous livre deux enseignements importantes :
d'une part, les agents pédagogiques virtuels peuvent créer une réelle valeur ajoutée en fournissant une rétroaction cognitive régulière, précise et structurée, permettant aux équipes pédagogiques de se concentrer sur des interventions plus complexes et personnalisées ;
d'autre part, ces agents montrent encore des limites et des insuffisances dans leur capacité à répondre de manière efficace à la complexité émotionnelle des personnes apprenantes.
Cette étude met en évidence le potentiel ainsi que les contraintes de ces outils, mettant l'accent sur leur aptitude à enrichir les expériences d'apprentissage quand ils sont judicieusement incorporés et en complément des interactions humaines.
À l'heure actuelle – surtout dans les situations où les ressources humaines sont insuffisantes pour garantir un encadrement adéquat des personnes apprenantes – les agents pédagogiques virtuels peuvent se révéler une solution pour enrichir leur expérience d'apprentissage.
Ces observations nous invitent toutefois à envisager une intégration réfléchie de ces agents dans les dispositifs pédagogiques, en suivant trois axes :
combiner agents virtuels et soutien humain en tirant parti des capacités et des forces respectives de chacun ;
sensibiliser et former les personnes apprenantes à interagir efficacement avec ces agents virtuels, en mettant en évidence leurs atouts et leurs contraintes ;
recourir aux agents virtuels pour les rétroactions cognitives continues, permettant ainsi d'allouer davantage de temps à des interventions humaines plus approfondies.
Référence bibliographique :
Arguedas, M., Daradoumis, T., & Caballé, S. (2024). Measuring the effects of pedagogical agent cognitive and affective feedback on students’ academic performance. Frontiers in Artificial Intelligence, 7:1495342. DOI: 10.3389/frai.2024.1495342
It is my great hope someday, to see science and decision makers rediscover what the ancients have always known. Namely that our highest currency is respect.
– Nassim Nicholas Taleb, extrait de l’ouvrage “The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable”
📖 Rapport • Les adultes possèdent-ils les compétences nécessaires pour s’épanouir dans un monde en mutation ?
Ce rapport dresse un tableau nuancé des compétences en littératie, numératie et résolution adaptative de problèmes. Certains pays – la Finlande, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède – excellent dans tous ces domaines, avec une proportion significative de leur population adulte démontrant des compétences élevées. Toutefois, la situation est préoccupante dans d'autres pays : en moyenne, dans les pays de l'OCDE, 18% des adultes ne maîtrisent pas les compétences les plus élémentaires. Cette évaluation offre une vue d'ensemble des compétences fondamentales, cruciales pour le développement des individus, des économies et des sociétés.
🛠️ Outil • Action mapping
J’ai découvert cette ressource suite à la recommandation de Nicolas dans le dernier épisode du podcast CQLP (merci en passant !). Si je suis loin d’en avoir fait le tour, le processus d’action mapping me semble une piste à creuser, à la fois pour concevoir des expériences d’apprentissage mais aussi pour aider les responsables RH et de formations à implémenter des stratégies pédagogiques au sein de leurs organisations. De mon côté, je continue à ronger ce nouvel os et n’hésiterai pas à vous tenir au courant s’il en ressort des réflexions ou pistes d’action intéressantes.
🎬 Documentaire • Psychothérapie et intelligence artificielle
En tant que psychologue, je pouvais difficilement manquer ce documentaire qui explore les opportunités et défis que représente l’intelligence artificielle dans la prise en charge en santé mentale. Alors que les besoins en soutien psychologique explosent et que la disponibilité de psys formés et compétents peine à suivre, l’intelligence artificielle pourrait-elle devenir une solution complémentaire efficace ? Voire même jouer le rôle de psychothérapeute virtuel ? À travers les témoignages de scientifiques, de thérapeutes et de patient·es, ce documentaire examine de manière nuancée comment ces technologies transforment la relation thérapeutique, leurs effets concrets sur les individus, ainsi que les questions éthiques et humaines qu’elles soulèvent.
📗 La cité aux murs incertains • Le grand retour de Murakami, avec une plume toujours aussi magnifique et une capacité à faire passer son audience du réel au surréel en un clin d’oeil (et vice-versa), le tout à travers une très belle histoire d’amour.
📺 Spliiit • Un de ces services que je regrette de ne pas avoir connu plus tôt, et qui pourrait vous intéresser si vous disposez d’un abonnement (ou souhaitez vous abonner) à plusieurs plateformes de streaming, sans payer le prix plein, le tout de manière parfaitement légale.
🗺️ Atlas de la Terre du Milieu • Un ouvrage absolument magnifique, à catégoriser même dans les livres de collection et à réserver aux fans de l’univers de Tolkien. En ce qui me concerne, j’en ai même fait un élément de décoration de mon environnement de travail.