Pour réduire les risques de procrastination, il ne suffit pas de mieux gérer son temps
Évidences #16
Bonjour à tous et à toutes,
Cela fait maintenant une bonne décennie que les neurosciences ont le vent en poupe. Et il y a de bonnes raisons à cela : les avancées en matière d’imagerie cérébrale ont fait de sérieux bonds en avant. Chaque année, on en apprend de plus en plus sur le fonctionnement de notre cerveau. Chouette ! Sauf que…
Sauf que cet engouement suscite non seulement la propagation de neuromythes, mais aussi une tendance à la neuromanie (terme utilisé par Albert Moukheiber et dont je vous parlais déjà dans cette édition). C’est-à-dire le fait de vouloir tout expliquer par les neurosciences, quitte à leur faire dire un peu tout et n’importe quoi uniquement afin de servir son propos. Et sous prétexte que “parce qu’on peut le mesurer ou l’observer par un IRM c’est que c’est vrai et objectif !”
Mais le public non averti oublie souvent que les neurosciences ont aussi des limites méthodologiques et ne sont pas plus ou moins objectives que d’autres champ de recherche. Il suffit de s’intéresser aux méthodes d’échantillonnage et d’interprétation en imagerie cérébrale pour se rendre compte qu’on est loin de la vérité absolue. De plus, si on vous présente une coupe du cerveau, avez-vous les connaissances et compétences pour savoir de quoi on parle ? Il y a fort à parier que non (et ce n’est pas grave). Reste donc à avoir une totale confiance dans les compétences d’interprétation et de vulgarisation de la personne en face de vous.
Lorsque je prépare une conférence ou une formation, je m’efforce de limiter autant que possible les références aux neurosciences (à moins que cela ne se justifie ou que ça puisse réellement éclairer un propos de manière ponctuelle). Plus le temps passe, plus je me rends compte que vouloir absolument justifier chaque pensée, chaque émotion ou chaque comportement d’un point de vue neuroscientifique ne sert pas à grand chose… car, au final, on se retrouve à intellectualiser un propos qui n’a pas lieu d’être. Surtout si on cherche à provoquer un changement chez les individus. Personnellement je doute que ce soit en expliquant le fonctionnement neurochimique du système de récompense qu’on va vraiment faire bouger les choses.
Mais je peux me tromper, il s’agit de mon opinion (et non d’un fait), et vous auriez tout à fait raison de ne pas être d’accord avec moi 🤨😉
Et sur ces considérations, je vous souhaite de passer une excellente journée et de faire de chouettes découvertes !
À tout bientôt,
David.
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La procrastination est un phénomène extrêmement répandu et incluant des facteurs cognitifs, affectifs et comportementaux. On la retrouve tant auprès d’un public étudiant que chez les collaborateurs et collaboratrices en contexte professionnel. Elle influence aussi bien notre performance que notre bien-être subjectif, ainsi que d’autres aspects liés à notre santé mentale. Plus spécifiquement, on observe qu’au sein des populations étudiantes, la procrastination académique peut provoquer des niveaux de stress et d’anxiété élevés, un sentiment de culpabilité, une diminution de l’estime de soi, le tout pouvant mener vers la dépression ou le burnout.
Depuis de nombreuses années, la recherche scientifique se penche sur le sujet. Au rayon des explications possibles, certains avancent que le fait de procrastiner serait lié à la peur d’échouer (et donc d’éviter les tâches aversives). D’autres avancent des difficultés liées à la planification et à la gestion du temps. Mais dans l’ensemble, la majorité des études s’accorde sur un point : la procrastination implique une préférence temporelle. C’est-à-dire que lorsqu’une récompense potentielle associée à une activité est trop distante de l’activité en tant que telle, elle n’est plus suffisamment attractive aux yeux des individus. Par exemple, le fait de réussir un examen (récompense potentielle) implique d’étudier (activité). Et si l’examen n’a lieu que dans plusieurs mois, la tentation peut être grande de postposer les temps d’étude jusqu’à ce que la récompense potentielle se rapproche.
Comme on le voit, la procrastination semble résulter d’une interaction complexe entre sentiment d’autocontrôle, régulation émotionnelle et caractéristiques de la tâche. De plus, on observe aussi que nous ne somme pas égaux en matière de procrastination : certains individus semblent naturellement mieux y faire face, tandis que d’autres galèrent beaucoup plus.
Comment ces deux populations abordent-elles la réalisation d’une tâche ? Se montrent-elles affectées de la même manière par la temporalité liée à celle-ci ? Une équipe composée de chercheurs et de chercheuses de l’Université de Rome et de l’Université de Sienne s’est penchée sur ces questions. En particulier, ils ont tenté d’évaluer les différences entre les personnes faisant preuve d’une procrastination faible et celles faisant preuve d’une procrastination élevée. Trois résultats principaux émergent de leur étude :
La productivité augmente à l’approche de l’échéance. Ce résultat confirme les observations d’études précédentes. Ainsi, plus l’échéance approche, plus les personnes faisant preuve d’une procrastination élevée s’activent à la réalisation de la tâche (avec un pic de productivité juste avant l’échéance). Au contraire, les personnes faisant preuve d’une procrastination faible répartissent leur travail tout au long de la période mise à leur disposition (avec un pic de productivité plus ou moins à mi-parcours).
L’approche de l’échéance affecte différemment les deux groupes. L’équipe de recherche a proposé aux deux groupes une tâche répartie sur cinq jours, et une autre sur trois jours. Chez les personnes faisant preuve d’une procrastination faible, pas de changement majeur : elles distribuent leur travail globalement de la même manière, quelle que soit la durée de la période. En revanche, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que l’autre groupe procrastine moins sur la période de trois jours, ce n’est pas ce qu’on observe ici : les personnes faisant preuve d’une procrastination élevée procrastinent tout autant, quelle que soit la durée de la période. Cette observation va à l’encontre d’une des recommandations les plus formulées pour réduire les risques de procrastination, à savoir réduire l’écart entre le début d’une tâche et son échéance.
La seule différence entre les deux groupes concerne leur orientation vers la tâche. L’orientation vers la tâche fait partie des stratégies d’adaptation (coping) que l’on met en place pour faire face notamment au stress. De manière simplifiée, cette stratégie consiste à focaliser son attention sur ce que l’on est en train de faire (une tâche ou une activité en cours). Chez les personnes faisant preuve d’une procrastination faible, on remarque que l’orientation vers la tâche est très présente, alors qu’elle l’est bien plus faiblement chez les personnes faisant preuve d’une procrastination élevée.
Comme d’habitude, il serait illusoire de généraliser à outrance ces résultats : il s’agit d’une étude parmi d’autres et l’échantillon reste limité (55 sujets issus d’une population étudiante en dernière année de Master à l’université). Elle permet toutefois d’apporter une piste supplémentaire pour aider les personnes faisant preuve d’une procrastination élevée. Plutôt que de vouloir à tout prix qu’elles s’améliorent en matière de gestion du temps ou des priorités, et si le fait de raccourcir l’échéance ne change rien à l’affaire, on peut les aider à adopter une orientation vers la tâche plus élevée. Comment ? D’une part, en réduisant au maximum les facteurs de distraction risquant de détourner leur attention. D’autre part, en les amenant à changer progressivement leur système de croyance pour passer de “Je remets toujours tout à plus tard.” à “Je fais ce que j’ai à faire dans les temps.”
Référence bibliographique :
Di Nocera, F., De Piano, R., Rullo, M., & Tempestini, G. (2023). A lack of focus, not task avoidance, makes the difference: Work routines in procrastinators and non-procrastinators. Behavioral Sciences, 13(4), 333. DOI: 10.3390/bs13040333
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Imaginez-vous en train de parler avec autrui. La personne en face de vous semble avoir une trace de chocolat sur le bord des lèvres. Que faites-vous ? Le lui signalez-vous ? Ou préférez-vous vous taire, de peur de la froisser ? Il s’agit d’un exemple particulier et isolé. Pourtant, il semblerait que notre tendance à éviter de donner un feedback aux autres se généralise dans bien d’autres situations. Et dans les faits, les personnes en face de nous seraient majoritairement demandeuses d’avoir un retour de notre part. Si vous vous retrouvez un jour dans une telle situation, essayez de vous mettre dans la peau de l’autre personne et évaluez à quel point vous aimeriez bénéficier du feedback d’autrui.
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Qu’il s’agisse de choisir un menu au restaurant, la paire de chaussures que nous allons porter, un modèle de smartphone ou un investissement immobilier, nous prenons chaque jour des décisions. Mais comment réaliser le bon choix ? Comment prendre une bonne décision ? Voici deux questions auxquelles tentent d’apporter des pistes de réponse les professeures Lace Padilla et Hannah Perfecto, invitées du podcast Speaking of Psychology produit par l’APA. Entre architecture de choix, biais cognitifs et heuristiques, cet épisode pourra sans doute vous éclairer, pas tant sur la manière de prendre la meilleure décision, mais en tout cas de réduire les risques d’en prendre une mauvaise.
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– Anne-Laure Le Cunff, extrait de l’article “Thinking beyond the brain: Why neuroplasticity is overhyped”
📚 La mer sans étoiles • Au détour d’un passage dans sa bibliothèque universitaire, Zachary emprunte un livre sans titre, ni auteur. Chose étonnante : ce livre évoque en détails une scène de son enfance. Comment est-ce possible ? Pour répondre à cette question, il se lance dans une quête qui l’emmènera plus loin que ce qu’il aurait jamais imaginé. Une lecture quasi coup de cœur dans laquelle je vous invite chaleureusement à plonger.
📚 Piranèse • Piranèse explore le palais dans lequel il vit et qui ne semble avoir aucune limite. En compagnie de l’Autre, ils consignent leurs observations et leurs trouvailles. Mais sont-ils vraiment seuls ? Quels mystères cachent les murs et les statues du palais ?… Entre fresque fantastique et thriller psychologique, j’ai dévoré ce roman en une journée.
🎬 Faux Contact : L’heure d’hiver • Les belges parmi vous s’en souviendront certainement (petite pensée pour Manu Thoreau, RIP). Avis aux francophones séjournant en dehors des frontières du Plat Pays, si vous souhaitez faire connaissance avec l’humour belge, vous allez être servis. C’est con… mais qu’est-ce que c’est drôle ! 🤣